Sandra- Laugier – Wittgenstein – Langage, expression et formes de vie

On examinera la spécificité de la philosophie du langage du second Wittgenstein, celui des Recherches Philosophiques en prolongeant la lecture vers ce qu’on appelle maintenant le « troisième » Wittgenstein, celui des derniers écrits, qui portent notamment sur la philosophie de l’esprit, la subjectivité et le rapport intérieur/extérieur. On discutera la différence entre la conception
représentationaliste du Tractatus logico-philosophicus et la conception « expressiviste » élaborée par Wittgenstein par la suite. L’idée directrice de l’exposé sera de faire le lien entre cette évolution dans la philosophie du langage (du descriptif à l’expressif, du logique à l’usage ordinaire) et l’élaboration progressive chez Wittgenstein du concept de forme(s) de vie et de praxis, afin de mettre en évidence un certain nombre de traits méconnus ou souvent malcompris de la seconde philosophie : 1) la normativité propre du langage comme forme de vie 2) la redéfinition en termes anthropologiques de la nécessité et de ce qu’est « suivre une règle », et 3) l’émergence d’une nouvelle forme de subjectivité, définie par l’articulation intérieur/extérieur et la capacité d’expression et d’inexpressivité. On pourra alors revenir sur des tentatives récentes, en philosophie
analytique et en philosophie des sciences sociales, de lire Wittgenstein comme critique de la subjectivité — et ainsi mieux faire apparaître le sens de l’expression formes de vie.

I. FORMES DE VIE ET ANTHROPOLOGIE

- 1. Tractatus logico-philosophicus

1. Le monde est tout ce qui est le cas.(Die Welt ist alles, was der Fall ist).

2.1 Nous nous faisons des images des faits (Bilder der Tatsachen).

2.19 L’image logique peut décrire le monde (die Welt abbilden).

4.022 La proposition montre son sens. La proposition montre ce qui se passe quand elle est vraie. Et elle dit que cela se passe ainsi.

- 2. Recherches philosophiques

- Augustinus, in den Confessiones I/8 : cum ipsi (majores homines) appellabant rem aliquam, et cum secundum eam vocem corpus ad aliquid movebant, videbam, et tenebam hoc ab eis vocari rem illam, quod sonabant, cum eam vellent ostendere. Hoc autem eos velle ex motu corporis aperiebatur : tamquam verbis naturalibus omnium gentium, quae fiunt vultu et nutu oculorum, ceterorumque membrorum actu, et sonitu vocis indicante affectionem animi in petendis, habendis, rejiciendis, fugiendisve rebus. Ita verba in variis sententiis locis suis posita, et crebro audita, quarum rerum signa essent, paulatim colligebam, measque jam voluntates, edomito in eis signis ore, per haec enuntiabam. (Quand mes aînés nommaient quelque objet et qu’ils se mouvaient en direction de quelque chose conformément à un son, je percevais cela et je saisissais que l’objet était désigné au moyen du son qu’ils émettaient quand ils voulaient le montrer. Cette intention était manifestée par les mouvements de leur corps, sorte de langage naturel de tous les peuples, langage qui, à travers les expressions du visage, le jeu des yeux, les gestes et l’intonation de la voix, indique les affections de l’âme quand elle recherche, ou détient, ou rejette, ou fuit quelque chose. Ainsi, au fur et à mesure que j’entendais les mots être émis à leur place dans diverses phrases, j’apprenais peu à peu à comprendre quelles choses ces sons désignaient. Et, au fur et à mesure que ma bouche s’habituait à ces signes, j’exprimais par leur moyen mes propres désirs.)
Dans ces mots nous avons affaire, il me semble, à une certaine image de l’essence du langage humain. (PU §1)
- 3. Les critères pour la vérité de la confession ne sont pas les critères de la description véritable d’un processus. Et l’importance de la vraie confession ne réside pas dans le fait qu’elle rende compte de manière correcte d’un certain processus. (PU II 222)
- 4. Imaginons ce langage : n°1. Sa fonction est la communication entre un constructeur A et son aide B. B doit faire passer à A des pierres de construction. Il y a des pavés, des briques, des dalles, des poutres, des colonnes. Le langage consiste dans les mots « pavé », « brique », « dalle », « colonne ». A lance l’un de ces mots, à la suite de quoi B rapporte une pierre ayant une certaine forme. Imaginons une société dans laquelle c’est le seul système de langage. L’enfant apprend ce langage des adultes en étant dressé à son usage. J’emploie le mot « dressage » d’une manière strictement analogue à celle dont nous disons d’un animal qu’il est « dressé » à faire certaines choses. (BrB I §1)
Nous appellerons « jeux de langage » les systèmes de communication comme n°1. Cependant, nous ne considérons pas les jeux de langage que nous décrivons comme des parties incomplètes d’un langage, mais comme des langages complets en eux-mêmes, comme des systèmes complets de communication humaine. Pour conserver à l’esprit ce point de vue, il est très souvent utile d’imaginer qu’un tel langage est le système de communication tout entier d’une tribu dans un état social primitif. (BrB I §5)
- 5. J’attirerai désormais constamment votre attention sur ce que j’appellerai des jeux de langage. Ce sont des manières d’utiliser des signes qui sont plus simples que notre langage ordinaire, lequel est extrêmement compliqué. Les jeux de langage sont les formes de langage au moyen desquelles un enfant commence à faire usage des mots. L’étude des jeux de langage est l’étude de formes primitives de langage ou de langages primitifs. (BB 17)
- 6. L’enfant utilise de telles formes primitives (primitiven Formen) de langage quand il apprend à parler. L’enseignement du langage ne consiste pas ici à expliquer, mais à dresser (Das Lehren der Sprache ist hier kein Erklären, sondern ein Abrichten). (PU §5)
- 7. Le signe primitif du vouloir est d’essayer d’obtenir. En disant cela nous essayons de décrire le mouvement d’un animal dans des termes qui vont au delà de ce que l’animal est en train de faire. (Anscombe, Intention, §36)
- 8. Imaginer un langage veut dire imaginer une forme de vie. (PU §19).
- 9. Je voudrais considérer cette sûreté [Sicherheit] non pas comme apparentée à de la précipitation ou à de la superficialité, mais comme (une) forme de vie. Cela veut dire que je veux l’appréhender comme quelque chose qui se tient par-delà le justifié et le non justifié : comme, pour ainsi dire, quelque chose d’animal. (UG §358- 359)
Je veux considérer ici l’homme comme un animal primitif : comme un être primitif auquel on accorde l’instinct, mais non le raisonnement. Comme un être dans un état primitif. Car d’une logique qui suffit comme moyen primitif de communication, nous n’avons pas à avoir honte. Le langage n’est pas issu d’un raisonnement. (UG §475)
- 10. Le mode de comportement humain commun est le système de référence à l’aide duquel nous interprétons un langage qui nous est étranger. (PU §206)
- 11. C’est chez nous la coutume de faire ainsi, ou un fait de notre histoire naturelle. (BGM 61)
- 12. Notre intérêt porte aussi sur la correspondance entre les concepts et des faits de nature très généraux (…) il faut imaginer certains faits très généraux de la nature autrement que nous n’y sommes habitués. (PU II 230)
- 13. Les mots s’emploient dans un contexte et on explique leur sens en les y replaçant : d’abord dans celui de la construction d’une phrase, ensuite dans ceux d’un jeu de langage pour l’emploi de cette phrase et d’une forme de vie pour la pratique du jeu de langage. (V. Descombes, Le complément de sujet)
- 14. L’idée de formes de vie est habituellement considérée comme accentuant la nature sociale du langage et du comportement humains, comme si W. avait mission de faire reproche à la philosophie de trop se concentrer sur les individus isolés, de valoriser l’intérieur aux dépens de l’extérieur, dans son analyse de questions comme le sens, les états d’esprit, suivre une règle etc. Mais cette insistance sur le social éclipse le souci jumeau des Recherches que vous pourriez appeler le naturel, les « réactions naturelles ». Appelez la première acception ethnologique, ou horizontale. A l’encontre, il y a l’acception biologique, ou verticale. Ce qui est en cause dans ce second sens, ce ne sont pas seulement des différences entre promettre et avoir l’intention de tenir, entre un couronnement et une entrée en fonction, entre le troc et le système de crédit. (S. Cavell, Une nouvelle Amérique encore inapprochable)
J’ai essayé de structurer le débat sur l’expression « forme de vie » en distinguant les directions ou perspectives ethnologique et biologique qui y sont encodées. La direction ethnologique, ou horizontale, souligne les différences entre cultures, par exemple, quant à la question de savoir si elles comptent ou mesurent ou sympathisent comme nous le faisons. La direction biologique, ou verticale, souligne les différences entre des formes vitales (life forms).
- 15. L’expression naturelle du vouloir est d’essayer d’obtenir. (…) Essayer d’obtenir est vraiment l’expression naturelle du désir, non seulement pour l’aspect physionomique le plus immédiat, mais aussi comme quelque chose d’inséparable du désir « par nature », en entendant par là les faits fondamentaux de la condition humaine, qui sont déterminants pour notre langage (Ch. Taylor, « L’action comme expression »).
- 16. Entreprendre même une explication est déjà un échec parce qu’on doit seulement rassembler correctement ce que l’on sait et ne rien ajouter, et la satisfaction qu’on s’efforce d’obtenir par l’explication se donne d’elle-même. (RRO)
- 17. Il y a longtemps qu’on sait que le rôle de la philosophie n’est pas de découvrir ce qui et caché, mais de rendre visible ce qui est précisément visible,c’est-à-dire de faire apparaître ce qui est si proche, ce qui est si immédiat, ce qui est si intimement lié à nous-mêmes qu’à cause de cela nous ne le percevons pas. (M. Foucault, conférence 1978)
- 18. La difficulté particulière de la philosophie tient au fait qu’elle doit être une anti-mythologie s’exerçant contre une mythologie qu’elle a pour l’essentiel suscitée elle-même à partir des formes de notre langage, c’est-à-dire de cet étonnement devant le fonctionnement de notre langage qui est tout à fait comparable à celui des primitifs devant les phénomènes « naturels ». (Bouveresse, postface RRO)
- 19. Ce que nous fournissons, ce sont à proprement parler des remarques concernant l’histoire naturelle de l’homme ; non pas, cependant, des contributions relevant de la curiosité, mais des constatations sur lesquelles personne n’a jamais eu de doute et qui n’échappent conscience que parce qu’elles sont en permanence devant nos yeux. (PU § 415)
- 20. On pourrait dire dans ce cas : cela lui vient naturellement (de comprendre ainsi l’ordre « ajouter 2 »). Ce cas ressemble à celui où quelqu’un réagirait naturellement au geste de montrer avec la main en regardant dans la direction qui va du bout du doigt au poignet. (PU § 185)
- 21. C’est ce que les êtres humains disent qui est vrai et faux (Richtig und falsch ist, was Menschen sagen ) ; et ils s’accordent dans le langage qu’ils utilisent. Ce n’est pas un accord des opinions mais de la forme de vie. Pour que langage soit moyen de communication, il doit y avoir non seulement accord (Übereinstimmung) dans les définitions, mais (aussi étrange que cela puisse paraître) accord dans les jugements. Cela semble abolir la logique, mais ce n’est pas le cas. (PU §§ 241-242)
- 22. Ce qui doit être accepté, le donné, c’est – pourrait-on dire – les formes de vie. (PU II 226)
- 23. Les conventions qui gouvernent l’application des critères grammaticaux ne sont pas fixées par la coutume, ou par quelque accord ou concordat qu’on pourrait, sans rompre le tissu de nos existences, modifier pour des raisons de commodité. (La commodité est un aspect de la convention, ou plutôt un aspect d’une sorte, ou d’un niveau, de convention). C’est bien plutôt de la nature de la vie humaine elle-même que les conventions tiennent leur fixité, de l’humaine fixité elle-même, de ces « faits de nature très généraux », « inaperçus parce que si évidents », et en particulièrement, de faits absolument généraux au sein de la nature humaine : par exemple, que la réalisation d’une intention requiert l’action, que l’action requiert le mouvement, que le mouvement inclut des conséquences que notre intention ne contenait pas, que notre connaissance (et ignorance) de nous-mêmes et des autres dépend de la manière dont nos pensées sont exprimées (et distordues) à travers paroles, actions, et passions ; que les actions et les passions ont une histoire. (…) Nous ne concevons plus cette convention comme les arrangements qu’une culture particulière a jugé commode de faire, dans le cadre de son histoire et de sa géographie, pour subvenir aux nécessités de l’existence humaine ; nous y voyons plutôt les formes de vie normales pour tout groupe de ces créatures que nous nommons humaines. Ainsi conçue, la série des « conventions » ne renvoie pas à des structures de vie qui différencient les êtres humains entre eux, mais à ces exigences, de conduite comme de sentiment, que tous les humains partagent. Ce que W. a découvert, ou redécouvert, c’est la profondeur de la convention dans la vie humaine ; et cette découverte ne met pas seulement l’accent sur ce qu’il y a de conventionnel dans la société humaine, mais aussi, pourrions-nous dire, sur ce qu’il y a de conventionnel dans la nature humaine elle-même. (Cavell, Les Voix de la Raison)
- 24. Nous avons l’impression de devoir pénétrer les phénomènes ; mais notre recherche grammaticale s’oriente non vers les phénomènes mais vers les « possibilités » des phénomènes (die « Möglichkeiten » der Erscheinungen). C’est-à-dire que nous nous rappelons la sorte d’énoncés que nous faisons sur les phénomènes. (PU §90)
- 25. Je ne dis pas : si tels ou tels faits de nature étaient différents, les gens auraient des concepts différents (dans le sens d’une hypothèse). Mais : s’il y a quelqu’un qui croit que certains concepts sont absolument les concepts corrects, et qu’en avoir de différents signifierait qu’on ne voit pas quelque chose que nous voyons avec évidence (einsehen) – alors, qu’il s’imagine que certains faits de nature très généraux soient différents de ce à quoi nous sommes habitués, et la formation de concepts différents des concepts habituels lui deviendra intelligible. (PU II xii)
- 26. Nous apprenons et nous enseignons des mots dans certains contextes, et on attend alors de nous (et nous attendons des autres) que nous puissions (qu’ils puissent) les projeter dans d’autres contextes. Rien ne garantit que cette projection ait lieu (et en particulier ce n’est pas garanti par notre appréhension des universaux, ni par notre appréhension de recueils de règles), de même que rien ne garantit que nous fassions et comprenions les mêmes projections. Que ce soit ce qui arrive au total est affaire de ce que nous avons en commun des voies d’intérêt et de sentiment, des modes de réaction, des sens de l’humour, de l’importance et de l’accomplissement, le sens de ce qui est scandaleux, de ce qui est semblable à autre chose, de ce qu’est un reproche, de ce qu’est le pardon, des cas où tel énoncé est une affirmation, un appel, une explication – tout ce tourbillon de l’organisme que W. appelle « formes de vie ». C’est une vision aussi simple qu’elle est difficile et aussi difficile qu’elle est (parce qu’elle est) terrifiante. Entreprendre le travail d’en montrer la simplicité serait faire un grand pas pour rendre accessible la seconde philosophie de Wittgenstein. (Cavell, Must We Mean What We Say ?)
- 27. Pour résumer : en « apprenant le langage », vous n’apprenez pas seulement ce que sont les noms des choses, mais ce que c’est qu’un nom ; pas seulement ce qu’est la forme d’expression convenant à l’expression d’un désir, mais ce que c’est qu’exprimer un désir ; pas seulement ce qu’est le mot pour « père », mais ce que c’est qu’un père ; pas seulement le mot « amour », mais ce qu’est que l’amour. En apprenant le langage, on n’apprend pas seulement la prononciation des sons, leur ordre grammatical, mais les formes de vie qui font de ces sons les mots qu’ils sont, en état de faire ce qu’ils font – par exemple, nommer, appeler, montrer du doigt, exprimer un désir ou une affection, indiquer un choix ou une aversion, etc. Or selon W., les relations entre ces formes sont également « grammaticales ».
Dans ces conditions donc, plutôt que d’affirmer que nous disons tell) aux débutants ce que signifient les mots, ou que nous leur enseignons ce que sont les objets, je dirai : nous les initions aux formes de vie pertinentes contenues dans le langage et rassemblées autour des objets et des personnes du monde qu’est le nôtre. Ce n’est possible que si nous devenons nous-mêmes exemplaires, qu’à la condition que nous prenions la responsabilité d’affirmer cette autorité ; et si celui que nous initions est capable de nous suivre, si rudimentairement que ce soit, naturellement (de regarder ce que nous montrons du doigt, de rire de ce dont nous rions, de consoler ce que nous consolons, de remarquer ce que nous remarquons, de trouver semblable, ou remarquable, ou ordinaire, ce que nous trouvons semblable ou remarquable ou ordinaire) et il faut qu’il veuille nous suivre (désirer notre approbation, préférer le sourire à la grimace, la chanson au couac, la caresse à la gifle). « Enseigner » signifierait dès lors « leur montrer ce que nous disons et faisons », et « agréer ce qu’ils disent et font au même titre que ce que nous disons et faisons », etc. ; et ce sera bien plus que ce que nous savons, ou sommes capables de dire. (Cavell,VR)
- 28. Le langage devient dans cette perspective une structure d’activité au moyen de laquelle nous exprimons/réalisons une certaine façon d’être au monde. Cette structure ne peut être mise en œuvre que sur le fond d’un arrière-plan que nous ne pouvons jamais dominer complètement, car nous le remodelons sans arrêt, sans dominer et sans pouvoir avoir de vue d’ensemble. (Taylor, « Le langage et la nature humaine »)

II. L’EXPRESSION, LE PRIVE, LE SUBJECTIF

- 1. Le corps humain est la meilleure image de l’âme humaine. (PU, § 19)
- 2. Nous voyons revenir à nouveau l’idée que ce que nous voyons du signe est uniquement une face extérieure d’un intérieur, dans lequel ont lieu ont lieu les véritables opérations du sens et de la signification. (Z §140)
- 3. Mais lorsque nous nous débarrassons ainsi du processus interne – ne reste-t-il plus que l’externe ? – Il reste non seulement le jeu de langage de la description du processus externe, mais ce qui ressort de l’expression. (BPP § 659)
- 4. J’ai à mes propres mots une relation entièrement différente de celle qu’ont les autres (…) Si j’écoutais les mots sortir de ma bouche, je pourrais dire que quelqu’un d’autre parle dans ma bouche. (PU II 219)
- 5. L’opposé de mon incertitude quant à ce qui se passe en lui, ce n’est pas sa certitude. Car je peux être aussi certain des sentiments d’autrui, mais ce ne sont pas pour autant les miens. (LS I § 963)
- 6. Mais si tu dis « comment sais-je ce qu’il veut dire, je ne vois que ses signes », moi je dis « comme sait-il ce qu’il veut dire, lui aussi n’a que ses signes ». (PU § 504)
- 7. Qu’est-ce qui donne l’impression que nous voulons nier quoi que ce soit ? (PU §305)
Pourquoi devrais-je nier qu’il y ait un processus mental [dans : se souvenir] ? (…) Nier le processus mental serait nier le souvenir ; nier que qui que ce soit se souvienne jamais de quelque chose. (PU §306).
- 8. Un « processus interne » a besoin de critères extérieurs. (PU § 580)
- 9. « Je vois l’extérieur et j’imagine un intérieur pour lui convenir ». Lorsque les mines, les gestes et les circonstances sont univoques, alors l’intérieur semble l’extérieur : c’est seulement quand nous ne pouvons pas lire l’extérieur que l’intérieur paraît se cacher derrière lui. Il y a des concepts intérieurs et extérieurs, et des manières intérieures et extérieures de considérer les hommes.
L’intérieur est lié à l’extérieur non seulement empiriquement, mais aussi logiquement. L’intérieur est lié à l’extérieur logiquement, et pas seulement empiriquement. (LS II 63)
- 10. Alors il doit se passer en lui quelque chose de tout autre, quelque chose que nous ne connaissons pas – Cela nous montre selon quelle règle nous déterminons s’il se passe ’en autrui’ quelque chose d’autre qu’en nous, ou la même chose. Cela nous montre d’après quoi nous jugeons les processus internes. (BPP I § 60, Z §340)
- 11. Il y a bien le cas où quelqu’un plus tard me révèle le fond de son cœur (sein Innerstes) par une confession : mais qu’il en soit ainsi ne peut rien m’expliquer de la nature de l’intérieur et de l’extérieur, car je dois donner foi à la confession. La confession est bien sûr encore quelque chose d’extérieur. (Z §558)
- 12. Le paradoxe est celui-ci : on peut exprimer ainsi la supposition « supposé que ceci se passe en moi, et cela à l’extérieur de moi » – mais l’affirmation que cela se passe en moi affirme : cela se passe hors de moi. Dans la supposition les deux propositions sur l’intérieur et l’extérieur sont entièrement indépendantes, mais pas dans l’affirmation. (BPP I §490)
- 13. Si nous faisons varier le concept du « faire semblant », il faut conserver ce qu’il a d’intérieur (seine Innerlichkeit), c’est-à-dire la possibilité de l’aveu. (BPP II §692).
- 14. L’intérieur est caché/ Le futur est caché. (PU II 223, LS II 22)
- 15. Que ce qu’un autre se dit intérieurement me soit caché fait partie du concept « dire intérieurement ». Mais « caché » est ici le mot qui ne va pas (das falsche Wort). (PU II 220-221)
- 16. Mais pourquoi concevons-nous un état, disons d’esprit, comme intérieur ? Pourquoi jugeons-nous que la signification d’un poème (d’un certain poème) est « intérieure » ? (Ne pourrions-nous même concevoir comme intérieurs certains états d’un objet physique ? Si ce n’est sa dureté, peut-être son magnétisme ? ou sa radioactivité ?) Ce qui appartient à l’âme est conçu comme intérieur. Mais pourquoi ? « Intérieur » renvoie pour une part au registre de l’inaccessible, du caché (comme l’est une pièce d’une maison) ; mais c’est aussi l’idée d’une propagation (comme celle d’une atmosphère, ou des pulsations du cœur). Ce que j’ai ici en tête est contenu dans des expressions comme « beauté intérieure », « conviction intérieure », « rayonnement intérieur », « calme intérieur ». Toutes expressions qui suggèrent que plus profond une caractéristique a pénétré une âme, plus manifeste elle est (cf. l’envie). (Cavell, VR)
- 17. Voici mon sentiment : que « quelque chose (peu importe quoi) » soit là-dedans, c’est déjà ce que le mot « extérieur » dit. Le mot par lui-même ne retire à la notion de critère rien de son pouvoir ; il ne lui en ajoute pas non plus. Une fausse conception de l’intérieur induit une fausse conception de l’extérieur. (…)
Si je considère comme en dehors l’espace où je me tiens, il me faut imaginer, chez l’autre, un espace intérieur que je ne pourrai pas trouver moyen de pénétrer, car lui-même, l’autre, n’y est jamais entré. (Cavell, VR)
- 19. Mais ne dis-je pas, par les mots « je sais que », que je me trouve dans un état déterminé (…) ? »
Je sais » n’a de sens que s’il est exprimé (äußert) par une personne (UG §§ 588-589)
- 20. Mes mots et mes actions m’intéressent de manière complètement différente de celle dont ils intéressent les autres (mon intonation aussi, par exemple). Je ne me comporte pas par rapport à eux en tant qu’observateur.
Mes mots sont parallèles à mes actions, les siens aux siennes. Une coordination différente (LS II, 10)
- 21. Une incertitude sur l’intérieur correspond exactement à une incertitude sur l’extérieur (…)
Le mental a ainsi son expression dans le corporel (LS II 68)
- 22. (Äußerung, nicht Beschreibung !) (PG 151)
- 23. Il est honteux de devoir se présenter comme un outre vide simplement gonflée par l’esprit. (VB 23)
- 24. Que rapportent les psychologues, qu’observent-ils ? N’est-ce pas le comportement des êtres humains, en particulier leurs expressions (Äusserungen) [trad. angl. : utterances] « J’ai remarqué qu’il était bizarre ». Est-ce que cela porte sur son comportement ou son état d’âme ? (« Le ciel a l’air menaçant » : cela porte sur le présent ou sur le futur ?) Les deux ; pas l’un à côté de l’autre, mais l’un à travers l’autre (PU II 179).
- 25. Mon attitude envers lui est une attitude envers une âme (eine Einstellung zur Seele). Je n’ai pas l’opinion qu’il ait une âme. (Ich habe nicht die Meinung, daß er eine Seele hat.) (PU II, 178)
- 26. Notre attitude envers les vivants n’est pas la même que celle que nous avons envers les morts. Toutes nos réactions sont différentes. (Einstellung zum Lebenden- PU I, § 284)
- 27. Pourquoi ne dirait-on pas : « l’évidence pour la présence du mental en l’autre est l’extérieur ? » Mais il n’y a rien de tel qu’une évidence de l’intérieur qui serait d’une part extérieure et médiatisée, d’autre part intérieure et non-médiatisée. (LS II 67)
- 28. Je voulais dire qu’il est remarquable que ceux qui n’attribuent la réalité qu’aux choses, et non à nos représentations, se meuvent avec tant de naturel dans le monde de la représentation, sans éprouver jamais le besoin d’en sortir. C’est dire à quel point le donné va de soi. Il faudrait que le diable s’en mêle pour qu’il ne soit qu’une petite photographie prise de travers.
Et l’on voudrait que cet aller-de-soi – la vie – soit quelque chose d’accidentel, de secondaire, alors que ce dont normalement je ne me soucie jamais, serait le réel ! Autrement dit, ce dont on ne peut ni ne veut sortir ne serait pas le monde.
La tentative de limiter et de faire ressortir (hervorzuheben) le monde au moyen du langage réapparaît sans cesse – mais cela ne marche pas. L’aller-de-soi du monde s’exprime justement dans le fait que le langage le signifie et ne peut signifier rien d’autre. (PB § 47)
- 29. Mes mots ne sont que mes expressions de ma vie ; et je réagis aux mots des autres comme à des expressions d’eux. Imaginer une expression (faire l’expérience de la signification d’un mot), c’est l’imaginer donnant expression à une âme. (…) Les expressions humaines, la silhouette humaine doivent, pour être saisies, être lues. Connaître un autre esprit, c’est interpréter une physionomie, et W. nous fait savoir que ce n’est pas là affaire de « pure et simple connaissance ». Je dois déchiffrer la physionomie, mon regard sur la créature sera fonction de ma lecture, et je la traiterai selon ce que j’aurai vu. Le corps humain est la meilleure image de l’âme humaine – non pas tant, ai-je envie d’ajouter, parce qu’il représente l’âme, mais parce qu’il lui donne expression. Le corps est le champ d’expression de l’âme.
Le corps est corps de l’âme ; il est à elle ; une âme humaine a un corps humain. Selon une ancienne image, l’âme est la possession du corps, elle est sa prisonnière – à vie. Si l’on fait au contraire du corps une possession de l’âme, son esclave, on peint une tout autre image : celle du corps comme condamné à l’expression, à la signification. (…) Car ce qui obstrue ma vision de l’autre n’est pas pour W. le corps de l’autre, mais mon incapacité ou ma réticence à l’interpréter, à effectuer les bonnes connexions. Ce qui sous-entend que c’est moi qui souffre d’une sorte de cécité, que je refoule en projetant l’obscurité sur autrui. (Cavell, VR)
- 30. Pour reconnaître réciproquement notre disposition à communiquer, présupposée dans toutes nos activités expressives, nous devons être capables de nous « lire » les uns les autres. Nos désirs doivent être manifestes pour les autres. C’est le niveau naturel de l’expression, sur lequel repose l’expression véritable. La mimique et le style a’appuient là-dessus (…) . Mais il n’y aurait rien sur quoi s’appuyer si nos désirs n’étaient pas incarnés dans l’espace public, dans ce que nous faisons et essayons de faire, dans l’arrière-plan naturel du dévoilement de soi, que l’expression humaine travaille sans fin. (Taylor, « L’action comme expression »)
- 31. Parce que la rupture d’un tel contrôle est le propos constant du dernier Wittgenstein, son écriture est profondément pratique et négative, à la manière de celle de Freud. Chez tous deux, ce malheur se révèle par le manque de congruence entre ce qu’on ditetcequ’on veut dire ou ce que l’on exprime ; pour tous deux, le moi se dissimule dans l’affirmation et l’action, et se dévoile dans la tentation etledésir. (Cavell, MWM)
- 32. Ainsi le fantasme (fantasy) d’un langage privé, sous-jacente au désir de dénier le caractère public du langage, s’avère fantasme ou crainte de l’inexpressivité ; une inexpressivité sous le poids de laquelle je me trouve non seulement inconnu, mais impuissant à me faire connaître – ou bien une inexpressivité qui affecte ce que j’exprime et le met hors de mon contrôle. Le problème, si l’on se dispose dans l’esprit du fantasme, est bien plutôt : pourquoi attribuons-nous une signification à quelque mot ou acte que ce soit, des autres, ou de nous-mêmes ? Comment quoi que ce soit que nous disons ou faisons peut-il être tenu pour du gribouillage, être une forme de non-sens ; et pourquoi tout le reste serait-il condamné à avoir une signification ?
Le fantasme d’une inexpressivité nécessaire résoudrait simultanément toute une série de questions métaphysiques : elle me soulagerait de la responsabilité d’avoir à me faire connaître aux autres – comme si être expressif avait voulu dire trahir continuellement ce que j’éprouve, en me livrant sans cesse – comme si, du fait même que les autres ne puissent connaître ma vie (intérieure), je ne pouvais manquer, moi, de la connaître. (…)
Vous autoriser à compter pour l’autre, ce n’est pas seulement reconnaître ce qu’il en est de vous, et par là reconnaître que vous désirez l’attention de l’autre. C’est également reconnaître que vos expressions vous expriment, qu’elles sont à vous, et que vous êtes en elles. Cela signifie que vous vous autorisez à être compris, chose que vous pouvez toujours refuser. J’aimerais souligner que ne pas vous y refuser, c’est reconnaître que votre corps, le corps de vos expressions, est à vous ; qu’il est vous sur la terre, qu’il est tout ce que de vous il y aura jamais. (Cavell,VR).
- 33. Qu’un acteur puisse représenter (darstellen) la préoccupation montre le caractère incertain de l’évidence, mais qu’il puisse représenter la préoccupation montre aussi la réalité de l’évidence. (LS II 67)
- 34. Le meilleur exemple d’une expression pourvue d’une signification tout à fait déterminée est un passage dans une pièce de théâtre.
- Alors on présuppose pas mal de choses. Par exemple, que ces gens entendent leurs propres voix, que parfois ils éprouvent des sentiments en fonction de leurs gestes, et tout ce qui appartient à la vie humaine.
Tomber sur un guêpier (Wespennest) philosophique. (LS II 8)
- 35. L’acteur peut jouer quantité de rôles mais à la fin il lui faut bien mourir lui-même comme être humain. (VB 50)

III. REGLES ET PRAXIS

- 1. D’où vient l’idée que le commencement d’une série serait la partie visible de rails qui vont de manière invisible jusqu’à l’infini ? Eh bien, au lieu de règles nous pouvons nous représenter des rails. Et à l’application illimitée de la règle correspondent des rails d’une longueur infinie. « Tous les pas sont en réalité déjà faits » veut dire : je n’ai plus le choix. La règle, une fois estampillée d’une signification donnée, tire les lignes au long desquelles elle doit être suivie dans tout l’espace. – Mais si quelque chose de tel était vraiment le cas, en quoi est-ce que cela m’aiderait ?
Non ; ma description n’a de sens que si elle est à comprendre de manière symbolique. – Cela me vient ainsi – devrais-je dire. Lorsque j’obéis à la règle, je ne choisis pas. Je suis la règle aveuglément. Mon expression symbolique était une description mythologique de l’usage d’une règle. (PU § 218-221)
- 2. Le concept de douleur est caractérisé par la place déterminée qu’il a dans notre vie. La douleur occupe telle place dans notre vie, elle a telles connexions.(Autrement dit : c’est seulement ce qui occupe telle place dans notre vie, seulement ce qui a telles connexions que nous appelons douleur). (Z § 532-533)
- 3. Puisqu’il est impossible de répondre au sceptique qui suppose que je veux dire quus, il n’y a aucun fait, à mon sujet qui fasse la moindre différence, que je veuille dire plus ou que je veuille dire quus. En réalité, il n’y a pas de fait, à mon sujet, qui fasse de différence, que je veuille dire une fonction définie par ’plus’ (qui détermine ma réponse dans des cas nouveaux) ou que je ne veuille rien dire du tout. (S. Kripke, Wittgenstein on rules and private language)
- 4. Nous avons bien des manières de dire quelle règle quelqu’un est en train de suivre, et s’il suit une règle quelconque dans ce qu’il fait ; mais nos procédures font partie de notre commerce avec ceux qui partagent la vie des règles avec nous. Dire si quelqu’un suit une règle occupe telle place dans notre vie, a telles connexions. (C. Diamond, Rules : looking in the right place)
- 5. Est-ce que ce que nous appelons « suivre une règle » est quelque chose qu’un seul homme, juste une fois dans sa vie, pourrait faire ? – C’est là une remarque sur la grammaire de l’expression « suivre la règle ». Il est impossible qu’une règle ait été suivie une seule fois par un seul homme (…). Suivre une règle, faire un rapport (…) sont des coutumes (Gepflogenheiten) (des usages, des institutions). (PU §§ 199-200)
- 6. L’idée est que la relation de notre pensée et de notre langage mathématiques à la réalité qu’ils caractérisent peut être vue, non seulement de l’intérieur de nos pratiques mathématiques, mais aussi, pour ainsi dire, de côté – d’un point de vue indépendant de toutes les activités et réactions humaines qui localisent ces pratiques dans notre ’tourbillon de l’organisme’ ; et qu’on pourrait reconnaître, depuis cette vue de côté, qu’un mouvement donné est le mouvement correct à un point donné de la pratique. (J. McDowell, Non-cognitivism and Rule-following)
- 7. Tel était notre paradoxe : une règle ne peut déterminer de manière d’agir, puisque chaque manière d’agir pourrait être mise en accord (Übereinstimmung) avec la règle. La réponse était : si tout peut être mis en accord avec la règle, alors tout peut être aussi mis en désaccord. Et donc il ne pourrait y avoir là ni accord, ni désaccord.
Qu’il y a là malentendu, on peut le voir du simple fait que dans cette démarche de pensée nous donnons une interprétation après l’autre ; comme si chacune ne nous contentait que pour un instant, jusqu’à ce que nous pensions à une autre encore derrière elle. Ce que nous montrons par là est précisément qu’il y a une saisie d’une règle qui n’est pas une interprétation, mais qui, au cas par cas de l’application, s’exprime (äußert) dans ce que nous appelons « suivre la règle » et « aller à son encontre ». (PU § 201)
- 8. Comme si une forme physique (mécanique) de guidage pouvait rater, laisser passer quelque chose d’imprévu – mais pas la règle ! Comme si la règle était, pour ainsi dire, la seule forme fiable de guidage. (Z § 296)
- 9. Cela fait partie de notre jeu de langage sur les règles qu’un locuteur puisse, sans donner aucune justification, suivre sa propre inclination confiante à croire que c’est là la bonne manière de répondre. C’est-à-dire que les « conditions d’assertibilité » qui permettent à un individu de dire que, en une occasion donnée, il doit suivre sa règle de cette manière plutôt qu’une autre sont, en définitive, qu’il fait ce qu’il incline à faire.
La situation est très différente si nous élargissons notre perspective et nous autorisons à envisager celui qui suit la règle comme en interaction avec une plus large communauté. Les autres auront alors des conditions de justification pour déterminer si le sujet l’applique la règle correctement ou non, et ces conditions ne seront pas simplement que l’autorité du sujet doit être acceptée sans conditions. (Kripke)
- 10. Si j’ai épuisé les justifications, alors j’ai atteint le sol dur, et ma bêche se retourne. Alors j’incline à dire : c’est simplement ainsi que je fais. (PU § 217)
- 11. Nous jugeons une action d’après son arrière-plan dans la vie humaine (…). L’arrière-plan est le train de la vie (das Getriebe des Lebens). Et notre concept désigne quelque chose dans ce train. (BPP II, §§ 624-625).
- 12. L’arrière-plan sur lequel ce que je peux exprimer reçoit une signification. (VB, 16).
- 13. Nous imaginons une personne disant « 1002 » après « 1000 » en appliquant la règle « ajouter 2 », et tout le monde disant aussi « 1002 » dans les mêmes circonstances : et nous croyons que c’est cela, l’ »accord ». Ce que nous ne voyons pas alors, c’est la place de cette procédure dans une vie où des règles de toutes sortes existent sous un nombre considérable de formes. En réalité, nous ne sommes pas seulement entraînés à faire « 446, 448, 450 » etc. et autres choses similaires ; nous sommes amenés dans une vie dans laquelle nous dépendons du fait que des gens suivent des règles de toutes sortes, et où les gens dépendent de nous : les règles, l’accord dans la manière de les suivre, la confiance en l’accord dans la manière les suivre, critiquer ou corriger les gens qui ne les suivent pas comme il faut – tout cela est tissé dans la texture de la vie. (Diamond)
- 14. « Mais alors l’usage du mot n’est pas régulé ; le « jeu » que nous jouons avec n’est pas régulé. » Il n’est pas partout encadré par des règles, mais il n’y a pas non plus de règles pour dire, par ex., à quelle hauteur lancer une balle au tennis, ou avec quelle force ; et pourtant le tennis est un jeu, et il a des règles. (PU § 68).
- 15. Dies ist leicht zu sehen, wenn Du ansiehst, welche Rolle das Wort im Gebrauche der Sprache spielt, ich meine, in der ganzen Praxis der Sprache (Eine philosophische Betrachtung 157).
- 16. Ce n’est que dans la pratique du langage qu’un mot peut avoir une signification. (BGM 344)
Pour décrire le phénomène du langage, on doit décrire une pratique (Praxis), et pas un processus qui aurait lieu une seule fois. (BGM 335)
- 17. L’usage du mot dans la pratique (in practice) est sa signification. (BrB)
- 18. La philosophie n’est pas une doctrine, mais une activité (keine Lehre, sondern eine Tätigkeit).(TLP 4.112)
- 19. The world-picture in its pratical, prepropositional stage could also be called a form of life. So to this extent the praxis at the basis of the language game is a pre-praxis, and not yet full fledged action. (Von Wright, Wittgenstein).
- 20. Nous jugeons une action d’après son arrière-plan dans la vie humaine. (…) Comment pourrait-on décrire la façon d’agir humaine ? Seulement en montrant comment les actions de la diversité des êtres humains se mêlent en un grouillement. Ce n’est pas ce qu’un individu fait, mais tout le grouillement (Gewimmel) qui constitue l’arrière-plan sur lequel nous voyons l’action. (BPP II § 624).
- 21. Si la vie était une tapisserie, tel ou tel motif (le faire-semblant, par exemple) ne serait pas toujours complet et varierait de multiples façons. Mais nous, dans notre monde conceptuel, nous voyons toujours la même chose se répéter avec des variations. C’est ainsi que nos concepts saisissent (auffassen). (BPP II §672)
- 22. Le faire-semblant est un motif (déterminé) dans la tapisserie de la vie (Lebensteppich). Il se répète en un nombre infini de variations. (BPP II §862)
- 23. Mon image du monde, je ne l’ai pas parce que je me suis convaincu de sa correction ; ni parce que je suis convaincu de sa correction. Non, elle est l’arrière-plan hérité sur lequel je distingue entre vrai et faux.(UG §94)
- 24. Mais le terme (de la justification) ce n’est pas que certaines propositions nous apparaissent immédiatement comme vraies, ce n’est donc pas une sorte de voir de notre part, mais notre action (Handeln) qui se trouve à la base du jeu de langage (am Grunde des Sprachspiels). (UG §204)
- 25. Lorsqu’il nous est demandé d’accepter ou de subir la forme humaine de vie, comme « une donnée pour nous », on ne nous demande pas d’accepter, par ex., la propriété privée, mais la séparation ; non pas un fait particulier de pouvoir, mais le fait d’être un homme, pourvu donc de cette (étendue ou échelle de) capacité de travail, de plaisir, d’endurance, de séduction. L’étendue ou l’échelle exactes ne sont pas connaissables a priori, pas plus qu’on ne peut connaître a priori l’étendue ou l’échelle d’un mot. (Cavell, Une nouvelle Amérique encore inapprochable)
- 26. Notre capacité à communiquer avec lui dépend de sa « compréhension naturelle », de sa « réaction naturelle » à nos instructions et à nos gestes. Elle dépend donc de notre accord mutuel dans les jugements. Cet accord nous conduit remarquablement loin sur le chemin d’une compréhension mutuelle, mais il a ses limites ; limites qui, pourrait-on dire, ne sont pas celles de la connaissance, mais celles de l’expérience. Et lorsque ces limites sont atteintes, lorsque nos accords sont dissonants, je ne peux plus revenir en arrière, vers un terrain plus solide. Non seulement lui ne me « reçoit » pas, parce que ses réactions naturelles ne sont pas les miennes ; mais c’est mon propre entendement qui s’avère incapable de passer outre ce que mes propres réactions naturelles peuvent supporter.
L’angoisse ne tient plus seulement au fait que mon entendement a des limites, mais à ceci qu’il m’appartient de les tracer, et sur nul autre sol que le mien. (Cavell, VR)
- 27. Le terme ultime auquel nous renvoie l’explication de la signification est celui de Lebensform. Et cela semble ouvrir sur une explication de la forme de vie humaine qui surmonterait les distorsions de la perspective désengagée. On peut ainsi voir dans la philosophie de W. le point de départ d’un naturalisme libérateur. (Taylor, Lichtung or Lebensform ?)
- 28. Moi, L.W., crois, suis sûr, que mon ami n’a pas de la sciure dans son corps et dans sa tête, même si je n’ai pas de preuve directe et sensorielle du contraire. (…) Avoir des doutes à ce propos me semblerait être de la folie – bien sûr, là aussi c’est en accord avec d’autres ; mais c’est moi qui suis en accord avec eux. (UG §281)

Références Wittgenstein

Bemerkungen über die Philosophie der Psychologie, G. E. M. Anscombe & G. H. von Wright (eds.), Oxford, Blackwell, 1980. Tr. angl. Remarks on the Philosophy of Psychology G. E. M. Anscombe. Tr. fr. G. Granel, Remarques sur la philosophie de la psychologie T.E.R. (BPP I, II)
Letzte Schriften über die Philosophie der Psychologie/Last Writings on the Philosophy of Psychology, vol. I, et The Inner and the Outer, vol. II (1949-1951), éd. G.H. von Wright et H. Nyman, Blackwell, Oxford, 1992. Tr. fr. G. Granel, L’intérieur et l’extérieur, derniers écrits sur la philosophie de la psychologie II, T.E.R. (LSI, II)
Philosophische Untersuchungen, Philosophical Investigations, G. E. M. Anscombe, G. H. von Wright & R. Rhees (eds.), Oxford, Blackwell, 1953, 1958. Tr. fr. Recherches Philosophiques, Gallimard. (PU)
Tractatus logico-philosophicus, London, Routledge & Kegan Paul, 1922. tr. angl. C. K. Ogden et F. P. Ramsey. Tr. fr. G.-G. Granger, Gallimard. (TLP)
Über Gewißheit, G. E. M. Anscombe & G. H. von Wright (eds.), Oxford, Blackwell, 1969. Trad. angl. On Certainty D. Paul et G. E. M. Anscombe. Tr. fr. De la certitude J. Fauve, Gallimard, 1976. (UG)
Vermischte Bemerkungen (Culture and Value), G. H. von Wright (ed.), Chicago, The University of Chicago Press, 1980. Tr. fr. Remarques Mêlées, TER. (VB)
Philosophische Bemerkungen, ed. Suhrkamp, 1989, tr. fr. Remarques Philosophiques, Gallimard (PB)
The Blue and Brown Books, Blackwell, Oxford, 1958. Tr. fr. M. Goldberg et J. Sackur, Le cahier bleu et le cahier brun, Paris, Gallimard, 1996. (BB, BrB)
Autres
E. Anscombe, Intention, 1957, tr. fr. L’Intention, Gallimard, 2002.
S. Cavell, Must We Mean What We Say ?, Cambridge, Cambridge University Press, 1969, 1976.
- This New Yet Unapproachable America, Albuquerque, Living Batch Press, 1989, tr. fr. Une nouvelle Amérique encore inapprochable, L’éclat, 1991.
- The Claim of Reason, Oxford, Oxford University Press, 1979 ; tr.f r Les voix de la raison, Le Seuil, 1996.
V. Descombes, Le complément de sujet, enquête sur le fait d’agir de soi-même, Gallimard, 2004.
C. Diamond, The realistic spirit, tr. fr. Wittgenstein, l’esprit réaliste, PUF, 2004.
Ch. Taylor, « Le langage et la nature humaine » et « L’action comme expression », tr. fr. in La liberté des modernes, PUF, 1997.

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