Mon objectif d’élaborer une « sémiologie des conduites autistiques » [2] m’a amené à prendre appui sur ce qui distingue : d’un côté, les conduites symboliques spécifiquement humaines et leurs pathologies ; et, de l’autre, les comportements non symboliques repérables chez l’ensemble des animaux.
A ce titre, les « formes symboliques » auxquelles un sujet humain est confronté, et qu’il doit d’une manière ou d’une autre « s’approprier », concernent bien sûr ses expressions langagières mais tout autant ses expressions gestuelles. Et les unes comme les autres mobilisent des signes, des objets et des personnes – eux-mêmes « symboliques », en ce qu’ils se distinguent des simples signaux, configurations et congénères du monde animal.
En d’autres termes, la « tiercéïté du symbole » ou la « structure du signe », me paraît pouvoir être très globalement étendue à la tiercéïté ou à la structure des objets et des personnes propres au monde humain [3]. Nombre d’indices témoignent que les animaux ne s’encombrent guère de cette tiercéïté dans les perceptions, images et catégorisations qu’ils élaborent des stimuli et signaux auxquels ils sont confrontés.
De leur côté, les personnes autistes paraissent hautement sensibles à cette tiercéïté mais, moins pour se l’approprier à leur propre compte, que pour la réduire à quelque figure de secondéité ou de priméïté.
Leur exigence d’immuabilité, ou « Sameness », équivaut à gommer toute arbitrarité, conventionnalité et oppositions de valeurs entre ces formes symboliques. Elle s’exprime dans leurs conduites « fusionnelles », « adhésives » : de collage de mots, réduits à des étiquettes signalétiques, sur des choses ; comme de collage de leur propre corps à des personnes et des objets qui se voient ainsi « dépersonnalisées » et « désobjectalisés », ou réduits à des configurations de signaux.
De même, leur isolement ou « Aloneness », équivaut à morceler encore ces configurations et signaux pour les réduire à des fragments informes et à de simples stimuli.
Ce repérage a suscité un mode d’accompagnement qui incite les personnes autistes à « s’approprier » des formes élémentaires de tiercéïté interpersonnelle, selon la « Technique du jeu avec les Personnes » [4].
Notes
[1] CNRS UMR 8606 , Groupe de Recherches Sémiologiques, CH-G Régnier BP 60321
F-35703 RENNES Cedex 7. jm.vidal@ch-guillaumeregnier.fr
[2] Voir Cahiers d’Acquisition et Pathologie du Langage, 2003, n° 23 « Sémiologie des expressions autistiques ». ISSN 1166-4789. http://www.vjf.cnrs.fr/umr8606.
[3] A l’opposition que certains entretiennent entre « structuralisme » et « anti-structuralisme », il me semble plus heuristique de distinguer « l’analyse structurale » (dont on ne peut faire ici l’économie) des dérives idéologiques « pro » ou « anti » structuralistes. Reconnaître cette composante structurale commune à ces divers registres n’équivaut nullement à en gommer les particularités propres à chacun et, moins encore, à soutenir la priorité et la prééminence du registre du langage sur les autres.
[4] Mise au point par le Groupe de Recherche Sémiologiques de Rennes en coopération avec le Centre de Ressource Autisme de Brest.