Jean Lassègue – Religion et Cognition

version pdf de l’introduction au dossier de la revue Intellectica, n°50, décembre 2008 : 7-32

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Introduction au dossier

Au 2ème siècle de l’ère chrétienne, le rhéteur grec Lucien de Samosate écrivait à propos des statues des dieux, dans un contexte historique où la cité romaine exigeait qu’on leur rendît un culte :

« Au-dehors, c’est Neptune, le trident en main, c’est Jupiter, tout brillant d’or et d’ivoire, orné de foudres et d’éclairs. Mais regarde au-dedans : des leviers, des coins, des barres de fer, des clous, qui traversent la machine de part en part, des chevilles, de la poix, de la poussière, et d’autres choses aussi choquantes à la vue, voilà ce que tu y trouveras, sans parler encore d’une infinité de mouches et de musaraignes, qui y établissent leur république. »

L’incrédulité à l’égard de la religion – de ses symboles, de ses reliques ou de ses objets sacrés – même quand le dogme religieux est relayé par toute la puissance de l’Etat, ne date donc pas d’hier et il serait bien présomptueux de croire un seul instant que la question de la nature de la religion n’ait pas été abordée de longue date et avec toute l’incrédulité de principe que requiert ce que nous attribuons aujourd’hui prioritairement à l’attitude scientifique. L’attachement à un corps magnifié tel qu’il est représenté sous les traits de Neptune ou de Jupiter explique sans doute en grande partie la croyance que l’on pouvait avoir en l’existence de ces derniers et en leur pouvoir d’intercession dans les affaires humaines. Mais cet attachement individuel passe avant tout par une pratique cultuelle collective sans laquelle aucune constitution d’objet unifié sur lequel une croyance peut se reporter n’est possible. L’incrédulité manifestée par Lucien a donc le culte collectif rendu aux dieux pour objet, même si c’est à leurs statues et aux croyances qu’elles véhiculent qu’il s’en prend.

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