John Stewart – Formes de pensée, formes de vie sociale : la science et l’argent

1) Durkheim, en tant que néo-kantien, pose la question de l’origine (non-empirique) des catégories a priori de l’entendement. En fait, il existe une double articulation entre formes de pensée et formes sociales : d’une part, les catégories conceptuelles de base se doivent d’être partagées par tous les membres (normaux) d’une société, sous peine d’incohérences qui menaceraient la viabilité de la société ; d’autre part, en tant que structures sociales, les catégories ne viennent de nulle part ailleurs que des actions (concrètes, sociales) des individus. Durkheim illustre cela par les catégories de l’espace, du temps, de l’identité, etc. chez des sociétés aborigènes. A ce stade, les catégories sont idiosyncratiques, et spécifique à chaque société (« primitive »). Il se pose alors la question de l’origine des catégories « canoniques » : l’espace et le temps euclidéens et newtoniens, les 12 catégories logiques d’Aristote repris par Kant. Durkheim propose que cela provienne d’une convergence progressive, au fur et à mesure que les échanges entre sociétés se développent.

2) La science et l’argent. Les échanges marchands constituent une voie priviligiée de convergence entre des sociétés différenciées. Mais alors, la prédiction de Durkheim se vérifie presque « trop bien » : au moment où les échanges marchands se développement au point de donner lieu à l’invention de la monnaie frappée (chez les Grecs, aux alentours de 7 siècles av. JC), on voit surgir « d’un coup » les catégories « canoniques » chez les philosophes (et mathématiciens). Le néo-marxiste Sohn-Rethel propose qu’il s’agit de bien plus que d’une simple coïncidence historique : selon lui, « l’abstraction de l’échange » telle que Marx l’analyse dans Le Capital tome 1, contient intrinsèquement, formellement, tous les éléments des catégories « canoniques ». Je donnerai quelques exemples de ces « isomorphismes formels ».

3) Cependant, à son tour, l’hypothèse de Sohn-Rethel fonctionne aussi « trop bien ». En particulier, en posant l’isomporphisme de façon si abrupte en « tout ou rien », la nature de l’articulation entre formes de pensée au niveau des psychismes individuels, et formes de vie sociale (les échanges monétaires) reste opaque. Afin d’approndir ce point, je me tournerai vers Simmel (« Philosophie de l’argent »). Ce que montre Simmel, c’est que la mise en place des institutions monétaires est une longue et très progressif processus historique. On peut alors observer – et comprendre la nécessité – d’une co-évolution des mentalités et des pratiques sociales ; notamment la question épineuse de savoir si la valeur de l’argent peut, ou non, se détacher de son substrat matériel (métaux précieux, billets de banque…).

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