Giuseppe Longo propose une lecture intéressante du fameux « test de Turing » où le sujet de l’expérimentation doit déjouer les plans d’un ordinateur à se faire passer pour un être humain, et plus exactement, pour une femme : l’ordinateur, au fonctionnement identique à celui d’une « machine de Turing », est-il à même de mimer l’intelligence humaine ?
Selon Longo, non, du fait de la nature-même de la machine de Turing, aux états discrets et dont l’enchaînement desquels est strictement déterministe, tandis que l’intelligence humaine est le produit d’états continus dont il est à jamais impossible (en raison de l’impossibilité de la mesure identique sur un espace de temps aussi petit soit-il) de reproduire les mêmes conditions initiales. Telle serait la conclusion à laquelle Alan Turing serait lui-même parvenue, et telle aurait été, selon Longo, la signification du test dans l’esprit de son auteur.
En réalité, la réponse à la question est au contraire, oui, et ceci pour de multiples raisons. La thèse de Longo n’en est pas pour autant moins éclairante, ne serait-ce qu’en raison précisément des questions que soulève sa réfutation.
La première objection découle simplement de la capacité de l’ordinateur à mimer effectivement le continu par la simulation, et ceci à la seule condition d’être en prise avec le continu, par le truchement de capteurs, par exemple.
La deuxième objection découle d’un caractère partagé par un grand nombre de systèmes biologiques : leur capacité à l’apprentissage, lequel rend oiseuse la question du retour aux conditions initiales qui ne pourrait résulter chez eux que d’un dysfonctionnement.
La troisième objection porte spécifiquement sur l’intelligence humaine : elle est liée à la nature même de l’intelligence humaine, de résulter de l’exercice d’une dynamique d’affect sur l’espace de mots constitutifs d’un lexique. Une dynamique d’affect est par nécessité interactive : interaction du locuteur avec son corps en prise avec le continu du monde naturel, interaction du locuteur avec d’autres, eux-mêmes naturels ou tout aussi bien, artificiels.
Ces trois arguments furent développés dans un ouvrage rédigé par l’orateur antérieurement à l’article de Longo : Principes des systèmes intelligents (Masson, 1990).