Idées et images de l’homme à l’épreuve de la sauvagerie dans la pensée européenne du XVIème au XVIIIème siècles
Observer, dans l’histoire longue, l’émergence, les usages paradigmatiques et l’effacement progressif de certains champs de la connaissance d’une notion comme celle d’ »enfant sauvage »amène à s’interroger sur les équilibres respectifs qui régissent les liens entre épistémologie et
symbolique.
On retrouve l’inertie résiduelle de systèmes de pensée disparus ou affaiblis au cœur de conceptions scientifiques reposant sur des démarches épistémologiques apparemment inconciliables avec les principes de leur symbolique. La mobilisation de traits communs met alors en évidence des affinités cognitives fondées sur des séries d’oppositions attachées ici à la définition dichotomique des notions d’humanité et d’animalité. Tout se passe comme si une même matrice conceptuelle donnait lieu à des exploitations différentes. Ainsi voit-on se poursuivre à travers le temps, sous des explications causales s’excluant l’une l’autre, une polarisation cumulative opposant nature divine et nature inférieure, intellect et corps, cosmétique et pilosité luxuriante, bipédie et quadrupédie, raison et
instinct, langage et mutisme, beauté et laideur, etc.
Toute une série de figures qui appartiennent au corpus mythologique, au légendaire, à la tradition hagiographique, et qui ne correspondent pas à ce que la recherche scientifique de la période moderne entendra par « enfant sauvage », viendront infiltrer confusément le discours et les représentations dont feront l’objet les enfants-loups, enfants-ours, enfants seuls que l’on ausculte dès que surgit un vide épistémologique qu’ils pourraient avantageusement occuper.