Edy Veneziano – Le langage et le jeu symbolique avant trois ans : entre représentation et communication

Le langage et le jeu symbolique avant trois ans : entre représentation et communication

Après avoir rappelé les grandes lignes du développement du jeu de fiction chez le tout jeune enfant, nous considérons trois manières d’envisager la relation entre le langage et le jeu de fiction, chacune portant un éclairage sur des aspects différents de la relation. La première, basée sur l’hypothèse piagétienne selon laquelle langage et jeu de fiction sont considérées comme deux manifestations d’une capacité sémiotique plus générale, examine si leurs points d’émergence et leurs premiers développements présentent des relations temporelles étroites entre eux. La deuxième manière considère la relation entre langage et jeu de fiction sous l’angle des contributions spécifiques du premier à la construction et au développement du second, autant au niveau individuel qu’à celui de l’échange interindividuel. En partant de cette relation étroite entre langage et jeu de fiction la troisième manière de considérer le lien entre les deux porte sur l’aspect communicatif des mises en langage utilisés dans le jeu de fiction.
En considérant le langage produit lors du jeu de faire semblant non seulement du point de vue représentationnel, mais aussi du point de vue communicatif, fonction inhérente à l’utilisation sociale du langage, les verbalisations de l’enfant lors du jeu de fiction deviennent un révélateur de sa compréhension intuitive des états mentaux d’autrui. En effet, si les enfants utilisent du langage dans leurs jeux de fiction pratiquement dès les débuts, les aspects de ces jeux qu’ils mettent en langage varient. Il sera montré qu’en analysant la relation entre la nature du jeu mis en scène et le langage utilisé par l’enfant, on peut dégager un changement qui va d’une mise en langage majoritairement peu informative (aspects « littéraux » ou dont la signification symbolique est facilement inférable à partir des actions et objets en présence) à une mise en langage majoritairement informative (qui spécifie, enrichit ou carrément crée la fiction). A un certain moment de son développement, l’enfant semble se préoccuper du fait que la mère, spectateur attentif et intéressé, peut ne pas avoir accès aux significations subjectives créées par lui-même dans le jeu de fiction, et que c’est par le langage qu’il peut les rendre accessibles.
De ce point de vue, le langage dans le jeu de fiction devient un outil d’évaluation, à la fois écologique et simple, de la compréhension implicite du mental d’autrui et des débuts d’une « théorie de l’esprit » implicite. Cette interprétation trouve un soutien dans la relation développementale étroite relevée entre l’utilisation majoritairement « informative » du langage dans le jeu de fiction et l’émergence d’autres utilisations de langage décontextualisées, telles les références au passé, au futur et aux états internes, ainsi que la capacité de fournir des justifications visant à changer les intentions ou le point de vue d’autrui.

De l’auteur, autour du même sujet

Veneziano, E. (2005). Langage dans le jeu de faire semblant : Une manière d’évaluer la théorie implicite de l’esprit chez l’enfant ? Langage et Pratiques, 35- 5-15.
Veneziano, E. (2002). Language in pretense during the second year : What it can tell us about « pretending » in pretense and the « know-how » about the mind. In R. Mitchell (Ed.) Pretense in animals and children (pp.58-72). Cambridge, UK : CUP.
Veneziano, E. (2002). Relations entre jeu de fiction et langage avant trois ans : de l’émergence de la fonction sémiotique à celle de la « théorie de l’esprit » en action. Enfance, 54, 241-257
Musatti, T., Veneziano, E. & Mayer, S. (1998). Contributions of language to early pretend play. Cahiers de Psychologie Cognitive/Current Psychology of Cognition, 17 (2), 155-181. Special Issue, A. Dowker (Ed.).

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