Jean Lassègue – Alan Turing, une autre victime de la loi anglaise sur l’homosexualité

En replay, l’intervention de Jean Lassègue chez Antoine Garapon, jeudi 22 décembre, dans Les discussions du soir sur France Culture.

Si l’opinion publique connaît le destin d’Oscar Wilde qui a été condamné à deux ans de prison pour sa conduite homosexuelle, elle ne sait probablement pas que le grand mathématicien anglais Alan Turing (1912-1954) a été condamné sur la base de la même loi britannique de 1885 à subir une castration chimique qui l’a tellement affecté qu’il a mis fin à ses jours. Ce scientifique de génie, qualifié par Churchill lui-même comme « l’un des hommes dont l’action individuelle a le plus contribué à la victoire des Alliés », a bénéficié d’une grâce posthume de la reine en 2009. A G.

Le philosophe reviendra sur la figure d’Alan Turing, mathématicien et chargé par les Services Secrets des codes pendant la Seconde Guerre mondiale, sur son histoire, sur la rédaction de son premier article en 1936, évoquant la description d’une machine (qui allait donner naissance à l’informatique), sur sa condamnation pour homosexualité, sur sa mort par le suicide…

De son temps, il est peu connu, sinon d’un cercle étroit de personnes; il est, de plus, tenu au « secret defense », de par son engagement – un secret qui sera bien gardé. Il se sait homosexuel depuis ses jeunes années de lycée, depuis cette passion pour un camarade, féru comme lui de mathématiques, brillant étudiant qui va mourir aussitôt, laissant Turing investi d’une mission : accomplir l’oeuvre laissée en cours par l’Ami….

Si dans l’enceinte de l’université, l’homosexualité passe, cela n’est pas le cas dans la société. Turing sera condamné. Le procès lui donnera le choix entre un an de prison ferme ou un traitement de hormonothérapie, autrement dit; se castrer lui-même. Il choisira la castration : il veut travailler, et il se sait utile. L’audience aura lieu, et il sera condamné à des piqûres d’oestrogènes, qui vont, non seulement modifier sa libido, mais son corps…

S’il fait ce choix, c’est parce qu’il croit en la séparation du corps et de l’esprit. Comme il choisira de se suicider, en croquant dans une pomme trempée dans du cyanure. La renommée de Turing grandit au fil du temps, on louera son rôle capital durant la Seconde Guerre mondiale (certains spécialistes s’accorderont pour dire qu’il a fait raccourcir la guerre de 2 ans). En 2013, une grâce de la Reine est accordée. … Il meurt à 42 ans, du fait de l’absurdité des lois réprimant l’homosexualité en Angleterre.

Une musique de circonstance ? « Snow white evil Queen prepares poison Apple », ou l’air de la Sorcière dans Blanche-Neige et les 7 nains.

Voir sur le site de France Culture

En savoir plus sur Alan Turing : Turing, J. Lassègue, Paris, Les belles lettres, re-éd. 2003

Marie-Cécile Berteau, « Psycholinguistique de l’altérité : architecture théorique, éléments ‘voix’ et ‘formes' »

Résumé

Nous présenterons tout d’abord une synthèse de la psycholinguistique de l’altérité (Berteau 2011), introduisant ses conceptions centrales concernant le langage et le sujet et articulant son architecture théorique en terme d’axiomes et d’éléments. Dans un second temps, nous proposerons de discuter plus particulièrement notre conception de éléments « voix » et « forme ».

La voix est comprise comme phénomène psycho-physiologique, socio-culturel et individuel, elle joue un rôle central pour les processus langagiers dans le social (avec au moins un autre concrètement présent) et dans l’individuel (sans autre présent, néanmoins social en raison de sa genèse), elle forme l’incessant mouvement d’intériorisation et d’extériorisation permettant aux sujets de se socialiser dans chaque acte langagier (chaque performance).

La forme langagière est conçue dans une perspective dynamique en temps qu’événement, de qualité dialogique. Nous suivons plusieurs axes de réflexion nous rattachant à différentes traditions qui soulignent le dynamisme de la forme : l’hylémorphisme (Aristote), la morphologie (Goethe, Humboldt), ainsi que le dialogisme dans la tradition de Jakubinskij, Vološinov et Bakhtine (Union Soviétique, années 1930), apportant entre autres la notion de « valeur propre » développée par Vološinov et Medvedev.

séance enregistrée (format mp3, 101, 62mg, 1:51)

Matthieu Contou, « Technique et pensée – Un autre aspect de l’influence de Spengler dans l’œuvre de Wittgenstein ? »

Résumé

Contrairement à une idée encore assez largement répandue qui conduit à distinguer et à accuser la distinction de deux, ou parfois même, de trois périodes dans sa réflexion, la pensée de Wittgenstein possède en vérité une très forte unité et témoigne continûment de la même intuition philosophique. Pour s’en apercevoir et le sentir, il faut cependant renoncer à l’envisager d’emblée comme une philosophie du langage et prendre conscience qu’elle relève bien plutôt d’une philosophie de l’esprit dont le point de départ est indiscutablement frégéen.
Au vu de l’inspiration et des programmes naturalistes qui y prévalent le plus souvent aujourd’hui, il faut toutefois reconnaître que cette philosophie wittgensteinienne de l’esprit est tout à fait atypique, déroutante et en partie paradoxale puisqu’elle revient, pour l’essentiel, à avancer qu’il est impossible, logiquement impossible, c’est-à-dire absurde ou dénué de sens, de prétendre faire apparaître l’esprit ou la pensée. Pourquoi ? Parce que les concepts d’esprit et de pensée renvoient à une expérience spécifiquement normative qui est, pour ainsi dire, structurellement évanouissante. En d’autres termes un peu plus précis, pour Wittgenstein, la pression normative qui signale la pensée, qui n’est pas la représentation, n’est pas l’effet d’un fait exerçant du dehors une contrainte sur l’esprit, mais l’expression des obligations qui l’attachent de l’intérieur à un faire, à une procédure sémiotique déterminée dont la mise en œuvre est nécessairement actuelle. C’est pourquoi si l’esprit ou le penser se montre ou s’atteste et peut donc être immédiatement vu à l’occasion de ses applications, il ne saurait, en revanche, être représenté ni faire l’objet d’une description.
Sauf à produire du non-sens en ramenant précisément l’actualité indicible d’une opération sémiotique déterminée au format imaginaire d’un fait hypothétiquement causant et extérieurement déterminant (métaphysique, comme l’essence ou toute autre idéalité logique, ou psychologique, comme la représentation mentale), il faut donc renoncer à toute approche théorique et explicative de l’esprit et de la pensée au profit d’une physiognomonie de leurs usages. Une autre philosophie de l’esprit qui consiste à accepter de reconnaître que nous ne pouvons guère faire mieux et que nous n’avons en réalité pas d’autre besoin philosophique que celui de voir ce que nous faisons des signes en nous remettant en mémoire nos mœurs et nos façons logiques, afin de nous libérer des images captivantes et obsédantes qui nous servent à en dénier l’indétermination en cherchant à les fonder.
Que l’esprit soit moins un ordre normatif statique qu’une capacité à user des règles ou des concepts en des applications effectives dont l’actualité est par principe indescriptible ou irreprésentable, du Tractatus Logico-philosophicus (1918) à De la certitude (1951), Wittgenstein n’aura donc jamais rien dit d’autre. C’est sur le fond de cette pensée centrale et de bout en bout directrice qu’il faut considérer l’évolution et les mutations de l’œuvre qui apparaît dès lors comme un approfondissement continu qui s’est progressivement organisé autour de trois figures successives, et à chaque fois un peu plus mûres, de la pensée, ressaisie en sa dimension spécifiquement opératoire :

  1. Dans un premier temps qui concerne essentiellement les Carnets 1914-1916 et le Tractatus Logico-philosophicus, penser, c’est projeter une image dans un espace construit.
  2. Dans un second temps, transitoire et décisif, au début des années trente, dans des écrits comme les Remarques philosophiques, la Grammaire philosophique, Les Dictées à Waismann et pour Schlick, par exemple, penser, c’est opérer avec des signes au sein d’un système inventé.
  3. Dans un troisième et dernier temps, à partir de 1937 dans un texte intitulé Cause et effet : saisie intuitive et de façon tout à fait systématique dans les Remarques sur les fondements des mathématiques et les Recherches philosophiques et ce jusqu’aux derniers écrits, penser, c’est, en fonction des cas, employer, dominer ou maîtriser une technique dans une forme de vie donnée ou héritée.

Le premier moment, celui schème projectif, correspond à l’influence conjointe d’Arthur Schopenhauer, de Ludwig Boltzmann et d’Heinrich Hertz et la pensée, c’est-à-dire l’application des concepts, y est comprise à l’aune de la théorie des modèles et de la géométrie projective. Le second, celui du schème calculatoire, doit l’essentiel de sa spécificité à la critique et à la déconstruction du premier à l’occasion d’une réflexion sur les fondements des mathématiques, de l’arithmétique plus précisément, qui fait passer au premier plan les notions d’ « opération » et de « calcul ». Le dernier, celui du schème technique, enregistre et fait finalement valoir une anthropologisation des pratiques conceptuelles dont les sources sont sans doute multiples, certaines expressément reconnues, Spengler, Straffa, par exemple, d’autres non, qui semblent pourtant souvent très probables, comme Dewey, Bühler, Malinowski ou Hogben. C’est à ce troisième et dernier moment que je m’attacherai au cours de cette intervention en m’arrêtant plus précisément sur les rapports que Wittgenstein a entretenus avec l’œuvre de Spengler parce qu’ils permettent peut-être, entre autres hypothèses, d’expliquer certains aspects spécifiquement naturalistes, disons plutôt éthologiques, de la référence wittgensteinienne au concept de « technique ». Une notion capitale autour de laquelle Wittgenstein achève finalement une recherche indissociablement logique et morale puisque, vouée de bout en bout à mettre en évidence l’indescriptibilité principielle de l’esprit et de la pensée, elle s’apparente à une transposition philosophique de la lutte religieuse contre la régression idolâtre.

Séance enregistrée (audio 120 Meg, 02:05:31, format MP3)

Bruno Karsenti, « Moïse et l’idée de peuple »

Résumé

Les juifs sont juifs en Moïse, qui ne l’était pas. Ainsi se résume la proposition scandaleuse de Freud. Scandaleuse pour les juifs sans doute, mais aussi pour la culture occidentale tout entière, où la singularité comme la persistance de ce peuple se donnent toujours comme une énigme. De quoi est faite l’idée de peuple dont nous héritons ? Comment se transforme-t-elle depuis l’irruption monothéiste où interviennent conjointement les trois instances du grand homme, du Dieu unique, et du peuple élu ? Questions qui deviennent plus insistantes encore lorsque les modernes en viennent à se définir, avec Rousseau, à partir de l’« acte par lequel un peuple est un peuple » — non sans admettre que l’art du grand législateur est plus pour eux qu’un ancien souvenir, mais une source dont ils voudraient de nouveau bénéficier à l’heure où ils prétendent se donner à eux-mêmes leurs lois.

C’est pourquoi, en dépit de l’incertitude qui plane sur son existence, le législateur mosaïque n’a de cesse de hanter la conscience moderne. En lui se mêlent deux interrogations : comment se constitue l’expérience politique occidentale, et quelle place vient occuper le peuple juif dans cette histoire, sachant qu’elle est évidemment traversée par des lignes culturelles hétérogènes, et marquée décisivement par le christianisme ? Une lecture du dernier livre de Freud permet d’affronter ces deux questions, pour autant que l’on s’efforce d’en restituer la portée politique.

Séance enregistrée

Antonino Bondi, « De la valeur au magma ou de Saussure à Castoriadis. Théorie(s) sémiologique et théorie de l’esprit »

Résumé

Nous discuterons du concept de valeur – tel qu’il est repérable chez Ferdinand de Saussure dans les ELG – ainsi que ceux de magma et d’imaginaire radical, mis en place par le philosophe Cornelius Castoriadis. D’un côté, en imbriquant les relations entre parole réelle et parole potentielle, la notion saussurienne de valeur oblige à s’interroger sur les tensions entre la virtualité et l’actualisation des signes. De l’autre, les concepts de magma et d’imaginaire nous permettent de saisir les dynamiques « produisant » les passages de la virtualité instituant des significations aux déterminations énonciatives instituées. Il en ressort qu’il s’agit des trois concepts importants, qui peuvent devenir des « outils » enrichissant la réflexion sur la nature du parcours interprétatif en anthropologie sémiotique, et en même temps mettant en perspective leurs fondements épistémologiques.

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Enregistrement audio de l’exposé (75 Meg, 01:18:07, format MP3)